Frédy Roos

Dans certaines familles, la forge n’est pas un métier, c’est un héritage vivant. Chez les Roos, le feu traverse les générations sans jamais s’éteindre, et le destin de Frédy est intimement lié à celui de la forge de la Tzintre. Il en est l’un des gardiens, façonné dès l’enfance par la chaleur du foyer familial et le martèlement régulier qui scandait les journées.

La lignĂ©e remonte Ă  Canisius, le grand-père marĂ©chal-ferrant, homme de caractère et d’exigence qui s’installe Ă  la forge de La Tzintre en 1919. En 1953, Athanase, le père de FrĂ©dy, prend sa suite. Ă€ 5 ans, FrĂ©dy Ă©volue dĂ©jĂ  dans cet univers vibrant. Les journĂ©es s’étirent du petit matin Ă  la nuit tombĂ©e, rythmĂ©es par le passage des armaillis, des agriculteurs et des forestiers selon les saisons. Le soir, on dĂ©posait les luges Ă  billons, les coins Ă  fendre, les chaĂ®nes et les haches, et on repassait le lendemain matin chercher ces outils essentiels fraĂ®chement rĂ©parĂ©s. Quand le marteau-pilon entrait en action Ă  l’aube et que le sol gelĂ© transmettait chaque vibration, mĂŞme les voisins le sentaient. Cette intensitĂ© forge des souvenirs !

La forge, à cette époque, n’est pas seulement un atelier, c’est un lieu de vie. On y cause, on y rit, on y refait le monde. Les gens de Jaun passent déposer un outil, en profitent pour boire un café chez la maman de Frédy, originaire du village. Hermann Schuwey, de la scierie de Im Fang, s’y arrête d’ailleurs chaque jour, fidèle au poste. En hiver, on travaille sur les outils du bois. En été, ce sont les objets liés à l’alpage, au rythme des barlatès qui déposent leurs fromages aux caves, font leurs emplettes, passent dire bonjour. Ces allers-retours constants témoignent d’une époque où la forge était un pivot du village, un espace de travail autant que de rencontres.

L’adolescence ouvre d’autres horizons. Ă€ 13 ans, FrĂ©dy part Ă  la Guglera pour l’école secondaire en allemand, puis suit un apprentissage de mĂ©canicien-Ă©lectricien. Mais le lien avec la forge ne se dĂ©fait jamais. Chaque fin de semaine, il revient travailler avec son père, tout en poursuivant des Ă©tudes techniques Ă  Fribourg. 

Le mĂ©tier de forgeron se transforme peu Ă  peu : beaucoup de forges artisanales ferment, les rĂ©parations se rarĂ©fient, l’industrie prend le dessus et certains travaux traditionnels, comme le cerclage des roues, disparaissent. Pour maintenir l’activitĂ©, Athanase ouvre alors un atelier de vĂ©lomoteurs, oĂą FrĂ©dy l’aide volontiers. Une adaptation nĂ©cessaire Ă  une Ă©poque oĂą l’ancien savoir-faire devait composer avec un monde qui changeait rapidement. 

Après son diplôme, Frédy s’envole deux ans pour l’Allemagne, un an pour l’Angleterre, avant d’être engagé chez Groupe E, alors EEF, où il contribue dès les années 1970 au développement des pompes à chaleur. Une trajectoire moderne, mais toujours reliée aux braises d’origine.

Le lien avec la Forge de la Tzintre se renforce encore au crĂ©puscule de la vie de son père. Quelques mots simples, lourds de sens qu’il lui glisse avant de s’éteindre : Il ne faut pas laisser mourir le feu de la forge... Cette phrase rĂ©sonnera longtemps et donnera Ă  FrĂ©dy l’impulsion nĂ©cessaire pour agir.

La suite ressemble Ă  un alignement bienheureux. Lors d’une visite de l’Abbaye des MarĂ©chaux de Fribourg, ses membres s’extasient devant cette forge restĂ©e dans son jus. Un tel patrimoine conservĂ© comme dans les annĂ©es trente, c’est unique, presque inimaginable Ă  une Ă©poque oĂą tant d’ateliers ont disparu ou se sont modernisĂ©s. Cette prise de conscience ravive l’idĂ©e qu’un lieu pareil mĂ©rite d’être prĂ©servĂ©, racontĂ©, transmis. 

En 2014, le Parc naturel régional entre en scène et encourage la sauvegarde. Tout converge vers la création d’un groupe de travail, puis, en 2015, vers l’assemblée constitutive des Amis de la Vieille Forge de La Tzintre. Un moment fondateur auquel Frédy tient beaucoup, avec une gratitude particulière pour Patrick Rudaz, artisan discret de cette mise en mouvement et de la réalisation de l’espace muséal.

Depuis la retraite, le retour à la première passion se fait pleinement. Grâce au noyau solide des guides-animateurs, au soutien du comité et à la dynamique collective, la forge vit à nouveau.

 Et l’atelier reste une adresse oĂą l’on dĂ©pose volontiers un outil en passant, selon une tradition bien ancrĂ©e, notamment chez les Jauner. Ce contact direct avec les clientes et les clients, FrĂ©dy y tient : c’est une manière de prolonger l’esprit de convivialitĂ© de l’époque de ses parents.